« Tu ne mets pas tes coudes sur la table Stefan ! » « ... » « Chéri s'il te plaît, écoutes ton père ... » « Et tu crois que c'est comme ça qu'il va obéir ? » « Non s'il te plaît ... » BAM. Et voilà le jeune Stefan Bradford le nez plongé dans son assiette de soupe. Le petit, tout juste âgé de six ans leva les yeux vers son père, ne comprenant pas bien ce qui l'avait poussé à retirer si violemment son coude de la table pour que son visage renverse ensuite son assiette sur lui. Il était fatigué et il s'était, sans s'en rendre compte, endormi dans sa main. Ce qui avait sans aucun doute échappé à son père. Le petit enfant, les larmes pleins les yeux, resta immobile devant cette nouvelle forme d'autorité. Pour la première fois, son père se montrait violent envers lui. Et pourtant, il ne l'avait jamais vu agir ainsi avec James et Alex, ses deux grands frères. Il leva ses petits yeux verts en direction de sa mère qui faisait son possible pour l'éviter, sachant que son mari n'apprécierait pas qu'elle montre de la compassion lorsqu'il tente de jouer de son autorité. « Voilà comment on fait obéir un enfant. Maintenant tu vas nettoyer tout ça et directement au lit puisque tu n'as pas faim ! »

Affamé mais également effrayé, le jeune blond s'excécuta rapidement, rejoignant la sécurité de ses draps pour s'enfouir dessus et pleurer jusqu'à ce qu'il s'endorme. Et cette soirée, peu après ses six ans, ne fut que la première d'une longue série. La famille Bradford était une famille riche et influente dans la ville où ils résidaient. Les parents de la fratrie de trois fils se devait donc de montrer qu'ils savaient éduquer leurs enfants et qu'il était facile pour eux de les faire obéir. James et Alex étaient des exemples d'enfants modèles. Serviables, souriants, polis et toujours prêts à faire un compliment aux amis de leur mère, ils étaient fortement appréciés, ils suivaient l'autorité d'un père qui n'avait pas besoin d'user de violence contre eux.

Mais vous connaissez tous l'histoire du vilain petit canard, la petite brebie galeuse qui ne fait jamais comme tout le monde. A partir du moment où son père avait usé de la force sur son fils, ce dernier n'accepta plus cette autorité. Contradictoire ? Très certainement. Mais je plus jeune des Bradford voulait vivre sa vie loin de toutes ces courtoisies hypocrites. Il n'appréciait pas les amies de sa mère, il les trouvait moches, il n'avait pas envie de faire des galipettes pour leur plaire et pour qu'on dise à son père combien il pouvait être fier de l'éducation de ses enfants.

« Cette robe vous va à ravir » S'exclama James en souriant de toutes ses dents à la nouvelle amie de sa mère. « Tu trouves ? Ca lui fait quand même un gros popotin ... » « STEFAN !!!! »
Il allait encore avoir des ennuis mais rien que la tête de la femme qui se tenait en face d'elle valait la peine de sa punition. Très fier, le sourire hypocrite collé aux lèvres, il observait la mine horrifiée de cette femme qui semblait penser qu'il était un monstre mal éduqué. Justement ce que son père voulait éviter que les gens pensent. Il sentit quelqu'un le tirer par le col et immédiatement, l'enfant de treize ans cessa de sourire. Son père l'obligea à faire des excuses, ce qu'il refusa évidement. Et direction le bureau où il travaillait pour une énième correction. Sa mère et ses deux frères ne savaient pas réellement ce qui se passait lorsque Stefan se retrouvait seul avec son père. Ils n'entendaient rien. Pas de coup, pas plus que de cris ou de larmes. Simplement parce que Stefan avait appris à se taire quand son père avait appris à le frapper sans faire trop de bruit. Alors un véritable combat s'était engagé entre eux, violent. Stefan se laissait faire, sans broncher, il ne pleurait pas, il ne suppliait pas et pire encore, il recommencait. N'allez pas croire que le jeune homme était masochiste, il souffrait de toute cette violence et de cette haine mais il ne voulait pas que son père obtienne satisfaction. Le voir courber l'échine, l'implorer d'arrêter, le supplier de le pardonner. Il en était pour lui hors de question.

Ce qui lui permettait de tenir ? L'amour de sa mère. Cette femme si douce et tendre qui embrassait et soignait chaque bleu et chaque marque que son père laissait sur son corps d'enfant. Cette femme qui le couvrait d'amour, qui lui racontait une histoire pour qu'il s'endorme, qui l'embrassait sur le front tout en remontant les couvertures une fois que Morphée avait emmené son fils pour une nuit. Stefan aimait sa mère, plus que tout. Et pourtant, un jour, une mauvaise nouvelle tomba sur la famille. Stefan allait avoir quatorze ans, ses frères était au pensionnat qu'il savait qu'il devrait bientôt rejoindre pour son éducation, pour la tradition familiale.

« Ta mère est gravement malade, tu vas la voir mais tu ne fais pas de bruit ! » Ordonna son père. Et pour la première fois en près de dix ans, le jeune Bradford obéit, silencieux. Il hocha la tête, surprenant son père. Il monta les escaliers, la gorge serrée. Il tourna la poignée, les larmes aux yeux. Sa mère était mourrante, il le savait, son père n'avait pas besoin de le lui cacher. Il poussa la porte, le coeur battant et c'est tout son monde qui s'effondrait en voyant sa mère allongée. Faible, pâle, fiévreuse. Il s'approcha du lit, silencieusement et elle tendit la main vers lui. Il l'attapa aussitôt et s'assit à ses côtés.

« Mon ange ... » Malgré ses quatorze ans et son désir de ne plus être traité comme un enfant, cette appellation ne dérangea pas le jeune homme. Il ferma les yeux, les larmes coulant à présent sur ses joues. « Tu vas être sage avec ton père pas vrai ? Tu vas lui obéir et bien te comporter ? » Les dents serrés pour ce que sa mère lui demandait, il hocha la tête, incapable de prononcer le moindre mot. Il sentit des bras l'envelopper et le tirer en arrière. Il ne se rendit même pas compte qu'il trébuchait, son père le soutenant. Il vit passer un prêtre et le médecin. Il haïssait ces deux personnes. Le prêtre plus particulièrement. On l'avait toujours éduqué dans l'amour de Dieu, de la religion. Mais aujourd'hui, plus question de prier. Où était Dieu pendant qu'on lui enlevait sa mère ?

« Pries avec moi mon fils. » Ce ton l'écoeurait. Son père avait entendu la requête de sa mère, il devait savoir qu'il s'y plierait, pour elle. Et pourtant, Stefan n'en avait pas envie, prier, et pourquoi faire ? Il avait envie de partir, de s'enfuir très loin. Il se dégagea des bras de son père, il s'éloigna rapidement, ne lui laissant pas le temps de le rattraper et il courrut aussi vite qu'il put, loin, très loin de sa maison.

Lorsqu'il revint complètement trempé par la pluie hivernale, il reçut une énième correction et la promesse qu'il irait au pensionnat l'année suivante. Et c'est à quinze ans qu'il entra effectivement dans cette école censée les éduquer, eux, les gosses de riches. Il retrouva ses deux frères, pas pour très longtemps. Considéré comme la honte de la famille, ses deux ainés évitaient de le fréquenter. Lui se fit des amis, des connaissances en tout genre et il découvrir que le pensionnat pouvait être sympa quand on prenait le temps de s'y arrêter deux minutes. Il n'était pas mieux éduqué, il était parfois même pire. Les années filaient et il rentrait uniquement pour les grandes vacances. Là, ses frasques étaient punies par son père, car il était évident que ses frères s'occupaient de tout leur raconter. L'année de ses dix-sept ans, il sortit avec une fille, une qu'il pensait aimer sincèrement. Mais cette histoire ne dura pas, elle partit avec un autre, lui brisant le coeur. Depuis, il se protège, il évite de montrer ses sentiments, de dire ce qu'il ressent. Depuis la mort de sa mère, il est distant, il ne se confie pas, il ne montre pas ses faiblesses. Et bien sûr, il ne tient pas sa promesse, il en est pour lui hors de question.

« Tu fais honte à la mémoire de ta mère ! » Un énième coup allait tomber, Stefan allait bientôt avoir dix-huit ans et le bras de son père se retrouva bloqué par celui de son fils qui le repoussa violemment. Monsieur Bradford resta interloqué devant la rebellion de son fils qui n'en avait jamais manifesté le moindre signe. Mais le père avait touché une corde sensible et il le savait. Sa torture ne serait plus physique, il s'employa à punir son fils en évoquant sa mère dès qu'il le pouvait. Après deux mois, Stefan doit intégrer une nouvelle école suite à la destruction de son pensionnat. Une école remplie de fille. En voilà une brillante idée, même si la discipline semble plus corcée ici et les filles de vraies saintes nitouches. Il a envie de s'amuser, il ne compte pas faire une année de plus en pensionnat, il compte quitter le domicile le plus rapidement possible.

Il va profiter de son année, le coeur partagé entre une amie et sa petite amie officielle à laquelle il commence doucement à s'attacher, même s'il reste difficile pour lui de se confier et de vraiment s'attacher à quelqu'un.